Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
La pluie battait son plein en ce mercredi. Il lui arrivait parfois de tomber dans une rare violence, tandis que parfois se glissant entre les nuages, comme pouvait le faire une main sur une épaule le soleil inondait de sa lumière les gouttes qui se laissaient choir sur le sol. Témoin de son passage, un ou deux arcs-en-ciel s'élevaient dans le ciel, laissant les enfants imaginer le trésor qu'ils pourraient trouver à l'une de ses extrémités. Observant par la fenêtre du boudoir de sa confrérie, Lorie observait la pluie, coupé par moment par une lumière solaire. Se frottant le front, la blonde réfléchissait sur son agitation du moment et le chaos qui grondait à l'intérieur d'elle-même. Fermant les yeux elle essayait de trouver ce qui semblait s'échapper, ses échecs, son jeu, sa concentration. Ignorant le bruit et ignorant le passage des autres élèves, Lorie se contentait de poser son regard sur les gouttes. Elle sentit une présence l'enlacer, qu'une seule personne pouvait faire en ce lieu et en se tournant, elle vit sa sœur, Rose. Sœur qu'elle ne verrait plus qu'un an dans cette académie. Elle lui afficha un sourire bienveillant avant de se tourner à nouveau vers la fenêtre.
« Tourmentée petite sœur ? » La voix était douce, réconfortante et l'adolescente se contenta de hocher la tête. Pour une raison floue elle se tourna à nouveau vers sa sœur.
« Tu… n’aurais pas une canne à pêche à tout hasard ? » Le visage de Lorie était marqué par une interrogation largement perceptible. Elle semblait avoir quelque chose derrière la tête.
« Lorie… Pourquoi diantre j’aurais une canne à pêche ? »
« Métamorphose ? »
« J’ai une ficelle, du liège pour boucher certaines fioles tu n’auras qu’à tordre une aiguille » Rose ne posa pas de question elle avait l'habitude de voir sa sœur parfois dans son univers.
« S’il te plaît. »
Le visage de Lorie venait de s'éclairer. L'idée semblait bonne, elle n'avait pas besoin d'une vraie canne à pêche, mais quelque chose qui y ressemblait. Quand sa sœur revint avec le matériel Lorie lui déposa un baiser sur la joue avant de filer dans son dortoir. Elle récupéra sa baguette et s'empressa de lancer un sortilège d'Imperméabilité sur son uniforme. Puis elle sortit dans le jardin jusqu'à la fontaine des nymphes rieuses. D'une extrémité de la ficelle elle fit un nœud au bout de sa baguette, et de l'autre le petit bouchon de liège qui flottait, parfois malmené par l'impact des gouttes d'eau qu'il recevait.
Prenant place en tailleur sur le rebord de la fontaine l’adolescente accepta d’être mouillée pas comme la plupart des élèves préférant rester au sec. Lorie était seule, seule avec elle-même. Puis elle se mit à tenir sa baguette comme si cela était une canne. Fermant les yeux, pour se mettre en condition pour l’exercice. C’était plutôt simple, retrouver sa concentration comme lors d’une longue partie d’échecs durant des heures. La pluie avait déjà détrempé son chignon sophistiqué, qui arrivait tout de même à rester en place. Ré-ouvrant les yeux Lorie alluma sa baguette d’une lumière dorée dont des particules blanches s’échappaient comme si cela était une petite fontaine, puis plongea son regard sur le petit bouchon de liège. Elle se mit à compter les gouttes d’eau qui rentraient en contact avec celui-ci.
L'exercice était compliqué, plus compliqué que ce à quoi elle pensait. Après avoir perdu plusieurs fois le compte l'adolescente à la chevelure d'or, recommençait alors son compte. Elle se forçait à ne pas bouger, adoptant une discipline de fer malgré les fourmillements qu'elle pouvait éprouver. Cela commençait à faire beaucoup de temps, elle n'avait pas compté, l'important était de pécher sa concentration. À mesure que les grains de sable tombaient dans le sablier du temps, Lorie tenait celle-ci plus longtemps. Finalement, Lorie réussie à trouver une sorte de paix, oubliant tout, l'espace d'un moment, pour se concentrer seulement sur l'essentiel : Sa pèche, sa concentration, son petit bouchon de liège frappé par la pluie, tandis que l'eau ruisselait sur le corps de la troisième année. Quelques heures venaient de passer et sans perdre le fil de son dernier compte cela faisait bien deux bonnes heures. Deux petites heures dans ses quatre heures de pêche, sans perdre sa concentration, respirant lentement et étant bien avec elle-même et la pluie qui s'abattait sur Beauxbâtons.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Aliaume releva une énième fois sa paupière gauche pour observer l’étonnante scène : deux heures que l’adolescente semblait pratiquer la méditation zen sur le bord de la fontaine sans se laisser distraire par la pluie battante. Le vieil homme sourit intérieurement. Cette combine était vieille comme le monde : restez le cul vissé dehors sous un torrent d’eau ou sur un banc de neige et vous gagnez un aller simple à l’infirmerie pour les quarante-huit prochaines heures. La petite devait fuir quelque chose. Naturellement, Aliaume n’avait pas la moindre idée de qui ou de quoi. Il aimait à discuter avant tant de ses pensionnaires qu’il en oubliait tout autant leur prénom, que leurs motivations propres ou l’état d’avancement de leurs études. Connaître ses élèves lui avait toujours semblé d’une prétention sans borne dans la bouche de ses consœurs et confrères du monde entier. Retenir une telle masse d’informations était tout bonnement impossible à moins de consacrer toute son existence à ces jeunes gens, ce qui n’était pas dans ses cordes. Aliaume avait décidé de consacrer son existence à d’autres choses. Des choses qui assureraient le mode de vie de tous les jeunes gens qui passaient par ces murs.
Un oiseau noir fendit soudain la pluie battante pour se poser sur l’épaule de la nymphe aux cheveux bouclés. Il s’ébroua puis se mit à regarder autour de lui en sautillant sur ses deux pattes. Aliaume referma sa paupière gauche, dans le réflexe enfantin qui veut que si vous fermez les yeux pour vous retrouver dans le noir, il fera tout aussi noir pour tout ceux qui se trouvent tout autour de vous. Peine perdue. Le corbeau poussa un croassement à vous glacer le sang en pointant son regard vers le bosquet à l’ombre duquel Aliaume pensait pouvoir se cacher.
Le vieil homme poussa un profond soupir. Au même moment, la nymphe coiffée d’une couronne d’olivier gloussa en ramenant sa main sur sa bouche. Le silence tout relatif recherché par Lorie s’était soudain volatilisé…
Aliaume émergea du bosquet dans une robe vert sauge, un grand parapluie à la main. Odin, son corbeau, fit résonner un autre croassement auquel le vieux directeur répliqua en lui lançant un sortilège qui lui cloua le bec.
« Brave bête, commenta Aliaume en s’arrêtant près de Lorie. Pardon pour le dérangement. Cet imbécile est persuadé que je le comprends quand il me parle le corbeau. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Prise dans une concentration des plus extrême, Lorie retrouvait peu à peu ses ressenties lors de ses parties d'échecs qui duraient des heures. Une sensation qui était, fort agréable, comme une sorte de symbiose ou plus rien n'avait d'importance à part le plateau de jeu. Mais ici il ne s'agissait pas d'un plateau de jeu, mais bien d'un bouchon de liège. Est-ce que cela avait de l'importance ? Pas vraiment pour la blonde, l'essentiel était de ne penser qu'à ce petit bouchon de liège malmener par l'eau. Souvent on se demandait comment faisaient les joueurs d'échecs pour passer des heures devant un échiquier, le professeur de Lorie et joueur professionnel, lui se levait parfois de sa chaise pour marcher, mais dans sa tête tournait constamment son panel d'actions qu'il était prêt à exécuter, calculant le maximum de positions non sans une certaine profondeur. Plus de vingt-cinq coups d'avance, voilà ce qu'il était possible de prévoir et d'analyser pour le champion de la Sinquefield Cup. Lorie elle lorsqu'elle était en forme arrivait au maximum à jouer dans une profondeur de douze.
Les deux heures passées sans sourciller devant ce bouchon en liège ne demandait finalement pas tant de concentration que ça, elle s'habituait à compter les gouttes et d'une certaine façon la blonde arrivait à plus ou moins savoir combien de ces dites gouttes toucheraient le bouchon dans un temps donné. C'était similaire, incroyablement répétitif. La respiration toujours lente Lorie entendit l'oiseau qui venait semblait-il de hurler au-dessus d'elle. Elle ne détourna pas le regard du bouchon, l'adolescente avait parfaitement conscience que les jardins étaient un espace commun où les animaux, les créatures magiques et les humains cohabitaient ensemble. Si le cri du corbeau, ne la gênait pas c'était bien parce qu'elle était concentrée et qu'elle savait qu'il était en droit de voler ou bon lui semble. Plus surprenant fut la voix qui vint casser le silence, du moins ce qui en restait. Lorie ne détourna pas son regard du bouchon. La voix, cette voix, elle la connaissait, pourtant elle n'était pas particulièrement familière.
« Bonjour monsieur, vous ne me dérangez pas au même titre qu'il ne me dérange pas. Répondit Lorie en fixant son bouchon de liège. Répondez-lui en Picolaton, peut-être que ça lui fera l'effet inverse... Lorie avait du mal avec l'humour, mais pour une raison obscure elle s'y essaya à ce moment précis. Néanmoins, peut-être que c'est le cas, après tout il vous a mené là où il voulait. »
Le nœud du bouchon de liège se desserra et le bouchon se mit à flotter loin de la cordelette. Lorie fronça les sourcils, enroula la corde autour de son index et d'un mouvement de baguette fit l'éviter le bouchon jusqu'à elle. Bouchon qu'elle posa sur le côté. Lorsqu'elle tourna la tête pour prendre conscience de qui était à ses côtés, elle marqua une certaine surprise qui la fit tomber en arrière. Alors, sur le dos tandis que ses jambes étaient restées sur le rebord de la fontaine, elle observa le directeur de son regard bleu. Elle ne savait plus vraiment quoi dire, ses pensées un peu prises dans un torrent quelque peu chaotique se fixèrent sur la première chose qui la raccrochait au directeur. Elle s'éclaircit la gorge et alors que le directeur était à l'envers pour l'adolescente, Lorie pris la parole.
« Vous me voyez navrée je n'avais pas totalement reconnu votre voix... Elle marqua un moment d'hésitation puis continua. Avant que j'oublie, vous avez les respects de votre grande rivale... et à en juger par son sourire que je qualifierais de malicieux... Possiblement une provocation les accompagnants en vous demandant ce qu... Gênée Lorie marqua un silence. Hum Peut-être que je devrais me relever… » Finit-elle par dire plus par affirmation que par interrogation.
Lorie mit quelques secondes à se relever. Mais une fois debout, une profonde gêne s'empara d'elle. Elle ne savait pas vraiment si elle devait s'asseoir sur le rebord de la fontaine, rester debout. Elle était quelque peu perdue dans la bonne marche a suivre et les convenances après une scène pareil. Mais chose intéressante, son directeur aimait apparemment se balader ou chasser le corbeau sous la pluie. Elle avait envie de lui poser la question, mais elle se retint pour le moment
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Aliaume avait quelques notions de galanterie, mais à cet instant, la mise en pratique de cet art lui semblait déplacer. Après tout, l’adolescente avait consciencieusement choisi, du moins lui semblait-il, de rester seule sous une pluie battante pour pêcher il-ne-savait-quoi — peut-être une truite à deux-têtes ? La protéger brusquement de la pluie ne revenait-il pas à lui suggérer qu’elle avait eu tort et qu’il convenait à un homme de la mettre au sec ? Aliaume le pensait et il pensait qu’il n’était pas de son ressort de l’écarter du rhume qu’elle s’était vraisemblablement décidée à attraper. Il n’aurait lui-même pas apprécié qu’on l’empêche de s’enrhumer. Droit comme un i dont le rond penche dangereusement vers le sol, le vieil homme jeta un coup d’œil au bouchon qui avait, par tous les moyens, tenté de voguer vers d’autres mers. Mais son attention se concentra pleinement sur Fleury lorsque celle-ci formula les mots « respects » « rivale » « malicieux » « provocation » d’une seule traite.
L’esprit d’Aliaume étant ce qu’il était — une sorte de chaudron bouillonnant d’idées de jour comme de nuit, hiver comme été… — l’association de ces quatre mots suffit à faire apparaître le visage de la grande girafe devant ses mirettes. Olympe Maxime de son prénom et nom. Les parents de cette vieille peau n’avaient pas lésiné sur le prénom pompeux soit dit en passant. Dans quel cadre Fleury avait rencontré la perche, Aliaume l’ignorait mais il se demandait maintenant pourquoi elle avait cru bon de lui faire passer un message — quel message d’ailleurs ? Cette tour toute fripée détestait cordialement la présence des enfants — à travers l’adolescente ? Peu sensible à la remise à l’endroit de cette-dernière, malgré le côté pratique de pouvoir la regarder droit dans les yeux, Aliaume aborda le sujet de front. Au diable les convenances ! Ces vilaines bestioles changeaient constamment en fonction de la sensibilité de ses interlocuteurs.
« Où l’avez-vous rencontré et que vous a-t-elle dit de plus ? Cette bonne femme ne sait pas se taire. Je suis sûr qu’elle ne s’est pas contentée de si peu. »
L’estomac d’Aliaume hurla à s’en déchirer les boyaux — je vous rassure, simple façon de parler.
« Vous vous laisserez tenter par un chocolat chaud ? »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie avait repris une posture digne de ce nom, elle avait en face d'elle le directeur de l'académie et même si sa gêne était palpable il était hors de question qu'elle ne soit pas dans une posture droite, avec élégance. Ses mains jointes devant son corps, tenaient encore sa baguette magique dont elle s'était servie un peu plus tôt. Ainsi elle écouta son directeur d'une oreille attentive, ignorant totalement la pluie qui pouvait couler le long de sa peau. Cette météo avait quelque chose de particulier, pour l'adolescente elle apportait une atmosphère en plus, des odeurs et un tas de choses différentes du soleil qui faisait office de brasier qu'elle connaissait bien dans le sud-est de la France. La blonde ne savait pas s'il était raisonnable d'accepter un chocolat chaud, c'était le second qu'on lui offrait cette année et ses parents seraient fort désapprobateur concernant le sucre que cela pourrait lui apporter. Néanmoins, ils seraient encore plus désapprobateurs si la petite blonde osait refuser une telle invitation. Prise un, peu dans une sorte de clivage, née de contradictions flagrante dans son éducation Lorie fini par balayer ça d'un revers de main, elle ferait ce qu'elle veut, de toute façon ils n'étaient pas présents. Elle accepta donc la proposition concernant la boisson lactée, d'une voix douce et calme comme à son habitude. Elle ne bougea pas d'un pouce, restant dans une posture des plus adéquats pour s'adresser au directeur de l'académie, elle n'avait toujours pas répondu à ses premières questions et elle savait très bien qu'il était préférable de le faire maintenant qu'elle en avait trop dit.
« En effet monsieur elle ne s'est pas contentée de si peu. Je l'ai rencontrée à la gare à la suite d'une fugue, j'étais avec un camarade de première année qui lui a demandé un autographe. Elle avait l'air sympathique, mais cela a changé en un instant, lorsque j'ai pressenti une provocation à votre encontre, je l'ai provoqué à mon tour et elle a répondu à celle-ci qui visiblement lui a déplu... Elle a parlé d'anneaux de chevalerie et de salle à double-tour, sa provocation consistait à vous demander ce qu'il était advenu de tout cela.Lorie marqua une pause et sonda sa mémoire, puis reprit sur un ton solennel comme si elle s'adressait à un prince ou un roi. Des inscriptions étranges ce sont animées quand je me suis approchée de sa valise, elles disaient que la table existait toujours et que le sang avait perduré. »
Lorie se contenta de donner les faits, elle se garda d’exposer son point de vue ou tout autre chose. Même si pour elle ce message sur cette valise était quelque chose dont il fallait se méfier. Elle imaginait mal l’ancienne directrice ne pas cacher avec ferveur toute information qui devait rester secrète. Lorie se contentait de regarder son directeur, se demandant ce que celui-ci ferait, attendant tout signe pour bouger. Tant qu’elle n’y était pas invitée l’adolescente de bientôt quatorze ans restait dans sa posture obséquieuse et immobile, qu’importe la pluie battante ou autres choses qui pouvaient se produire.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Aliaume invita l’adolescente à se désaltérer d’un geste de la main, guettant sa réaction avec une certaine malice : ce chocolat chaud n’était pas n’importe quel chocolat chaud, c’était un chocolat chaud réellement, et bien, chaleureux ! Du genre à vous sécher instantanément de la tête aux pieds si vous étiez mouillé et à vous donner l’impression que vous vous trouviez au coin d’un bon feu de cheminée, sous une couverture douillette, les pieds dans des chaussons à poils doux, par une nuit d’hiver.
Mais tandis que toutes ces impressions imprégnaient la perception du vieil homme qui avait rangé sa baguette pour attraper sa tasse et y tremper ses lèvres, toute son attention se focalisa sur le récit de l’adolescente. Il s’étonna d’entendre qu’une si jeune fille avait essayé de tenir tête à cette vieille autruche mais le savoir le fit sourire comme un enfant fier d’avoir réussi à embêter une personne qu’elle n’aimait foncièrement pas. Mais très vite, son sourire s’effaça, remplacé par une colère sourde qui aurait hérissé jusqu’au poireau de la Devineresse ! Satané vieille bique prétentieuse ! Comment cette girafe édentée avait pu évoquer tout ça devant une si jeune personne ? Avait-elle complètement perdu la boule ? Aliaume était furieux — ce qui, chez lui, se manifestait avant tout par une barbe frémissante qui se mettait à vous faire de drôles de nœuds marins ! Ô bien sûr, il était parfaitement conscient qu’elle devait jubiler de cette réaction attendue et recherchée, mais évoquer des sujets aussi graves devant des oreilles profanes dans le seul but de l’atteindre ? Non c’était trop ! Il lui apprendrait à fermer son bec la prochaine fois qu’il lui prendrait l’envie de caqueter. Horrible momie-sur-pattes !
Aliaume prit une profonde inspiration entre deux gorgées de chocolat chaud avant de froncer les sourcils.
« La valise s’est adressée directement à vous ? Décrivez-moi la scène dans les moindres détails, n’omettez rien s’il vous plaît. C’est important. »
En voilà une chose qui pouvait s’avérer curieuse… Aliaume observa l’adolescente comme s’il la voyait pour la toute première fois.
« Quel est votre nom déjà ? »
Comme s’il l’avait déjà entendu ou, un temps, mémorisé. Une blague.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Les évènements qui suivirent furent des plus étrange pour les yeux de la petite blonde. Le parapluie qui s'était agrandi pour une raison qui lui était inconnue et ni une ni deux elle s'était retrouvée avec un chocolat chaud entre les mains après avoir été invitée à se servir sur un plateau. Est-ce que cette boisson était quelque chose de courant ? D'abord, sa maîtresse de confrérie puis maintenant le directeur de l'académie. Quoi qu'il en soit Lorie trempa ses lèvres. Une chaleur diffuse s'empara de son corps sans la moindre raison apparente, plus surprenant encore elle n'était plus mouillée. Une sensation qui lui plaisait, c'était aussi apaisant que la petite potion qu'elle prenait encore début août. La même chaleur diffuse qui s'emparait de son abdomen et qui faisait des sortes de vague jusqu'à ses extrémités. Lui rappelant sans efforts les moments sous la couette devenant de plus en plus long chaque matin où elle n'avait aucune obligation de se lever pour assister aux cours.
Lorie était loin d'arriver au bout des surprises, observant son directeur elle vit sa barbe faire... Des nœuds ? Ne sachant ce que ça signifiait elle observa cela quelques secondes tout au plus avant de plonger son regard à nouveau dans celui du directeur de l'académie. Ainsi il voulait des précisions. L'adolescente avait pourtant l'impression d'avoir tout dit. Un peu prise au dépourvu elle avait du mal à comprendre en quoi la provocation d'une femme suffisamment égocentrique pour répondre à la provocation d'une enfant pouvait être aussi importante. Sa bouche s'ouvrit, mais aucun son ne sortit. Elle ne savait plus vraiment quoi dire. Finalement, elle décrivit à nouveau la scène.
« La valise était posée, quand je me suis approchée et que je l'ai observé, des sortes d'arabesques ont formés ces mots... Rien de plus... Elle semblait juste aller quelque part et au moment de partir avec son... Domestique ? Ecuyer ? Qui avait une sorte de parchemin avec lui, puis la valise s'est mise à voler vers eux. Elle marqua une pause et observa son directeur... Vous devriez peut-être la contacter, je suis qu'une fille banale qui essaie de pécher une concentration perdue dans un chaos. Je suis une piètre messagère, les fées postales feront un meilleur travail monsieur le directeur… »
Elle plongea ses lèvres dans un chocolat, prit une nouvelle gorgée. Elle ne savait plus quoi dire et quoi faire tant ce qui lui semblait que futile venait de prendre une soudaine importance. Pourquoi des anneaux de chevalerie et une salle à double tour était visiblement suffisamment préoccupante pour que son directeur soit dans cet état… Mais elle se liquéfia quand il lui demanda son nom. La peur de prendre une punition simplement parce qu’elle avait eu le cœur de lui dire tout ça était quelque chose qui la mettait mal à l’aise profondément.
« Monsieur, c'est déjà une période compliquée, entre le fait que je refuse d'utiliser des maléfices ce qui agace monsieur Vaillant et... Le fait que je n'arrive... Lorie se coupa net, préférant pas s'éterniser sur sa situation personnelle. Je n'ai pas trop envie d'être au centre d'un conflit qui me dépasse et d'être punis pour ça... Lorie regarda le sol, comme si on venait de lui dire de ne pas se plaindre et finit par accéder à la requête. Lorie Fleury monsieur. »
Il était difficile de percer à jour le directeur de l'académie. Encore plus difficile dans l'état de ce début d'année d'avoir des pensées précises et non hors contexte. Peut-être se méprenait-elle, surement même, mais si elle péchait sous la pluie c'était bien pour la raison d'essayer de s'apaiser et non simplement attraper un rhume.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
C’était comme si un duelliste couvrait son flanc droit avec un Protego alors qu’il se faisait attaquer sur le flanc gauche. A la lumière de ces éléments, la colère d’Aliaume n’était pas prête de retomber (et ses nœuds de barbe de se détricoter).
L’adolescente prétendait être une fille banale, mais le vieil homme en doutait. Un être humain pouvait en attirer un autre pour un tas de raisons plus ou moins évidentes, mais il était particulièrement rare qu’un être humain tape dans l’œil d’un objet magique. Aliaume trempa ses lèvres dans le chocolat chaud et sa colère se calma le temps que le doux liquide s’écoule dans son estomac. Cette accalmie soudaine lui permit de formuler toutes sortes d’hypothèses au sujet de cette interaction surprenante entre l’adolescente et la valise. Mais la colère revint à la charge tandis qu’il scrutait le visage de la jeune fille sans réussir à mettre la main sur la pièce manquante du puzzle.
« Vous n’êtes assurément pas une fille banale, dit-il comme s’il formulait le fond de sa pensée à voix haute. »
La suite devait l’en convaincre durablement quand l’adolescente lui signifia refuser l’utilisation des maléfices durant les cours du professeur Vaillant. L’esprit du vieil homme balaya la peur irrationnelle de l’adolescente et fouilla tout un tas de compartiments poussiéreux de sa mémoire en quête d’un ou d’une Fleury qui l’aurait mis sur la piste d’une réflexion. Mais entre les compartiments qui refusaient de s’ouvrir et ceux dont le contenu était bien trop poussiéreux pour être déchiffré, Aliaume dut se résoudre à l’évidence : ce nom ne lui évoquait rien. Reste que d’une façon ou d’une autre, cette petite avait tapé dans l’œil de la valise. Le sang a perduré… oui, ce n’était pas improbable. Quant à la table… il était très bien placé pour savoir qu’elle existait toujours et qu’elle était merveilleusement bien entretenue. Cette histoire alambiquée allait nécessiter des recherches approfondies au Service des archives communautaires. Aliaume convint de prévenir Emilien de dégager son emploi du temps dès qu’il en aurait fini ici.
« Personne ne compte vous punir pour si peu mademoiselle Fleury, vous pouvez boire ce chocolat sur vos deux oreilles — les expressions se mélangeaient dans cette vieille caboche sans éveiller les soupçons du proprio. Pourquoi refuser les maléfices ? Ils ont leur utilité. Aujourd’hui, par exemple, je regrette amèrement de ne pas en avoir utiliser sur cette vieille femme à l’époque où elle n’en était pas encore une. J’aurais pu arrêter sa croissance ou la rendre encore plus bête qu’elle ne l’est. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Ce n'était pas la première fois qu'elle avait juste envie de fuir une situation avec un adulte dans l'académie en cette année. La seule différence majeure était que dans celle-ci Lorie avait tout de même moins provoqué les choses. Ce n'était pas elle qui était venue voir le directeur et ce n'était pas elle qui avait dit les choses. Elle avait simplement fait la messagère pour une raison qu'elle ignorait. Quoi qu'il lui en couterait elle avait surement fait le bon choix, mais son envie de fuir était plus grande que son courage plus ou moins disparu. L'histoire de sa vie, fuir le château, fuir le domaine, fuir les discussions tendues, fuir, tout se résumait à fuir de plus en plus à la recherche d'une chose qui probablement n'existait pas. Ses dernières fugues avaient bousculé sa vie d'une façon dont elle ignorait les possibilités. Mais comme toujours il était plus facile après coup de dire que quelque chose était stupide et de se dire qu'on aurait de l'agir autrement dans cette situation donnée.
Lorsqu'elle entendit le directeur prononcer les mots, elle était loin d'être en accord avec lui. Pour elle s'était juste une fille qui avait évolué dans une famille qui était ce qu'elle était, qui refusait bien souvent l'autorité comme la plupart des filles de son âge. Elle était là dans la masse des autres élèves, et elle essayait tant bien que mal d'évoluer parmi eux sans faire de vagues. Elle ne prit pas le soin d'amener son point de vue, elle le garda pour elle. De toute façon elle était habituée à le garder pour elle. Observant toujours le sol elle attendait la suite qui ne tarda pas à arriver. Le soulagement qu'elle éprouvât quand elle entendit qu'elle ne serait pas punie était d'une telle intensité qu'elle se sentit mieux. Suffisamment pour reprendre une gorgée de chocolat chaud. Une tasse serait épargnée en cet après-midi pluvieux. Il était amusant de constater que malgré la pluie la petite blonde ressentait presque les rayons du soleil sur sa peau. Sûrement un des effets de ce chocolat vraiment différent. Quelque chose d'unique. C'était presque incroyable qu'elle n'ait jamais vu de tel chocolat chaud avant malgré les grands chefs qui défilaient dans toutes les cuisines des lieux qu'elle visitait. Cette image lui donnait l'impression d'être encore plus déconnectée du monde, comme si elle devait évoluer sur un versant du monde sans pouvoir découvrir les autres. La question que son directeur lui posa la fit réfléchir. Elle se demandait si celui-ci ferait comme le professeur Vaillant, se moquant de ses valeurs à cause de son âge.
« Viser autrui de cette façon n'est qu'une facilité parmi tant d'autres, que cela soit pour s'amuser, par haine ou toutes autres raisons personnelles. Elle marqua une pause avant de reprendre calmement. Aussi désagréable soit elle un maléfice n'aurait probablement rien réglé, surtout à votre rivalité... Pour ce qui est de l'utilité je pense qu'en deux ans d'académie si les maléfices étaient vraiment si utiles que ça, je m'en serais aperçût, je n'en lancerais pas, de toute façon j'en suis incapable mon intention sabote malgré moi mes tentatives, comme je l'ai déjà dit à monsieur Vaillant l'an dernier, si cela ne correspond pas à l'exigence et l'excellence de l'académie il vous reste l'option de l'exclusion monsieur. »
Elle se garda bien de dire qu'elle ne voulait pas, en plus de tout cela, ressembler à son père. C'était l'une de ses motivations, mais pas la principale non plus. Elle plongea à nouveau ses lèvres dans la boisson. En y réfléchissant vu son état cela aurait peut-être été une meilleure idée de ne pas remettre les pieds à l'académie comme son père lui avait promis.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« Intéressant. »
Pour sûr l’affaire l’était. Il ne comptait plus les fois où il avait désiré de tout son cœur lancer un Bloclang à la tour-à-chignon mais où sa magie l’avait proprement écarté d’une telle option. Résultat des courses, il avait embrassé une vie sans faire usage du moindre petit maléfice, fut-ce pour une mauvaise blague. La suite, comme un Destin tout tracé, l’avait placé sur le chemin d’un Mage blanc qui avait décelé, chez lui, l’étincelle du virtuose — Aliaume apprit bien après que leur rencontre n’était pas un hasard du tout mais le fruit d’un savant calcul qui avait précipité leur rencontre à cette date donnée. Ayant, à ce jour, un apprenti, Aliaume se savait dans l’incapacité d’entamer l’initiation d’une seconde personne. Cela n’avait pas cours au sein de la Voie Blanche. Mais se pouvait-il que cette discussion banale ne soit pas le fruit d’un autre hasard ?
Aliaume nota dans un coin de sa tête de vérifier les derniers calculs lors de son prochain passage par la forêt de Brocéliande. La Magie blanche avait peut-être bien fait éclore un nouveau bourgeon sous les toits de Beauxbâtons. Il lui fallait en avoir le cœur net. Peut-être…
« Si l’excellence en matière de maléfices était la norme, nous aurions été rebaptisé Durmstrang il y a fort longtemps, s’amusa le vieil homme avant de terminer le contenu de sa tasse en poussant un grand soupir de contentement. Dommage que vos facultés vous aient placé sur la route du professeur Vaillant. Il faut bien admettre qu’il n’a pas son pareil pour les enseigner. Dans le cadre de sa matière, les maléfices distinguent bien souvent les vivants des morts… mais si votre conviction est faite, cramponnez-vous à elle en faisant de votre mieux. Il existe toujours plusieurs solutions à un même problème après tout. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Observant son directeur d'académie la petite blonde cherchait quelque chose dont elle ne savait même pas l'existence. C'était comme chercher quelque chose sans savoir ce que l'on cherchait. La réaction qu'il prenait était semblerait-il voué à réflexion. Le seul mot qu'il lâcha était « intéressant » ce qui était encore plus déroutant. Lorie n'avait aucunement conscience de ce qui pouvait être intéressant, une chose était sûre, pour elle ça ne pouvait pas être sa personne. Le laissant encore à ses réflexions, elle analysait ce qui pouvait transparaître. La seule chose qu'elle ne put voir, était que son directeur ne semblait pas vouloir l'exclure. Ce qui se confirmait par la dernière tirade de l'homme qu'elle avait en face d'elle. Elle prit le temps de réfléchir à ses mots. D'une certaine façon elle n'était pas d'accord avec son directeur, peut-être était-ce naïf, mais elle était persuadée que non ce n'était pas dommage d'avoir croisé la route du professeur Vaillant. Lorie fronça les sourcils avant de briser le silence qui s'était installé depuis peu.
« Je ne pense pas que cela soit dommage, la théorie reste très intéressante et utile. Elle me sera utile même si je me refuse à utiliser le moindre maléfice. Les connaissances que j’accumule dans sa matière me seront sans doute d’une grande aide, au moins pour savoir m’y préparer ou repérer ce qui mérite d’être repéré. Lorie marqua un silence avant de reprendre toujours calmement. Même si cela ne correspond pas à mes… Convictions, je ne peux faire comme si cela n’existait pas, en ayant conscience de ça, peut-être que je serais plus en mesure de venir en aide aux autres. »
Cela sonnait comme très utopique, mais la petite blonde y croyait. Surtout quand son directeur l'encourageait à rester dans cette voie. Le sourire aux lèvres la blonde regarda les tatouages de son directeur, elle n'avait jamais trop su d'où cela venait, mais elle en était curieuse. Elle garda cependant ses questionnements pour elle. Demander ce genre de choses était probablement trop personnel et elle s'y refusa pour l'instant. Un sujet néanmoins plus léger semblait plus propice en ce moment même.
« Cela vous arrive souvent de rester des heures à l’ombre d’un arbre sous une pluie battante monsieur ? »
La question posée toujours très calmement démontrait qu'elle avait fini par prendre conscience de sa présence à un moment ou un autre. Peut-être que c'était entre deux essais de pêche à la concentration qu'elle avait tourné la tête et prit conscience de l'homme, peut-être que c'était autrement, elle ne savait plus trop. Le détail intéressant était qu'il était là, non loin, et pas comment Lorie savait qu'il était là. Il était rare de voir des personnes aimer la pluie suffisamment pour l’accepter et continuer de vivre. La plupart des gens la fuyait ou l’aimer qu’une fois installé sous une couette bien chaude avec un livre.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Caressant l’arrête de son nez après avoir fait disparaître sa tasse d’un claquement de doigts, il observa la pluie battante pour en évaluer l’espérance de vie. Allez, encore trois bonnes minutes et le rideau de pluie se transformerait en crachin. Aliaume possédait bien un sortilège dans sa poche qui aurait chassé la pluie au profit d’un soleil d’été mais il n’était pas de nature à s’opposer aux éléments — ces trucs-là étaient de vraies têtes de mules et vous faisait payer très cher la moindre insubordination. Ses oreilles garnies d’un bouquet de poils blancs frémirent à la question de l’adolescente. Est-ce que cela lui arrivait si souvent ? Et bien c’est à dire qu’il ne pleuvait pas si souvent que ça non plus. Mais Aliaume comprenait que la question n’était pas aussi technique.
« Et bien mon guérisseur estime que la respiration d’un arbre magique est bonne pour ma santé, répondit le vieil homme. J’essaie autant que possible d’en profiter. Les arbres magiques, il n’y a que ça ici ! Qu’il vente, qu’il pleuve, je respire avec eux. »
Il jeta un regard à ces gros chênes noueux qui ne manquaient pas de caractère eux non plus. Il se souvenait encore parfaitement de l’élève qui avait reçu une fessée mémorable pour s’être soulagé d’une envie incontrôlable contre l’un des leurs. Le professeur de Guérison de l’époque, le célèbre Louis Martin, en avait bavé pour effacer les traces rouges de la déculottée sur les fesses du malheureux.
« Vous avez réussi à remonter quelque chose des profondeurs ? demanda le vieil homme en désignant la fontaine. J’ai connu une élève qui a relevé une belle idée, une fois. L’idée d’une invention de tout premier ordre. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Affichant un petit sourire lorsqu'elle entendit les premiers mots de son directeur, Lorie était contente de s'être dit que finalement il devait bien y avoir une raison à cela. Elle fut néanmoins surprise et hautement intéressée par ce fameux guérisseur. Une envie en elle s'alluma comme pouvait le faire un feu d'une grande envergure. Non pas qu'elle estimait que sa professeure de guérison ne soit pas au niveau, loin de là, elle avait même beaucoup de respect pour elle. Mais, d'une certaine façon il était toujours hautement intéressant d'avoir une multitude de sons de cloches différents. Et comme la petite blonde était bien déterminée à suivre cette voie, alors rencontrer une multitude de guérisseurs était une idée bien alléchante afin d'apprendre tout un nuancier de choses. Mais avant même qu'elle puisse ouvrir la bouche pour poser sa question, elle fut questionnée par l'homme qui lui faisait face.
Avait-elle réussi à remonter quelque chose des profondeurs ? Elle n'en était pas certaine, ou du moins pas entièrement à sa grande déception. Réfléchissant sur sa partie de pêche, elle mit un certain temps avant d'apporter une réponse.
« Non, du moins pas entièrement, rester concentrée sans interruption deux heures est loin d'être satisfaisant lorsque l'on peut le faire six à sept heures... Néanmoins, peut-être que dans mon état émotionnel instable cela reste une belle performance. Pensez-vous que votre guérisseur pourrait venir à l'académie ? Je ne vous cache pas mon envie de le rencontrer, son savoir couplé à celui de madame Yapara doit être... Elle chercha le mot le plus adéquate avant de conclure. D'une grande richesse. »
Elle marqua une pause. Il était vrai que son directeur était un inventeur émérite et peut-être qu'il aurait une réponse à sa question qui traînait dans sa tête depuis sa première année.
« Vous qui êtes un inventeur habile, puis-je me permettre de vous poser une question sur ce domaine ? »
Lorie espérait avec une grande flamme intérieure. Néanmoins, elle préféra demander avant, peut-être qu'il avait mieux à faire que de discuter aussi longtemps avec une fille sortie de nulle part. La petite blonde fronça les sourcils, le bruit environnant venait de changer à l'instant même. Regardant le ciel elle put s'apercevoir que celui-ci n'était plus aussi malheureux. La forte pluie venait de céder la place à un crachin agréable. Son sourire fut alors bien visible. Non pas qu'elle n'aimait pas la pluie, loin de là, mais elle aimait les danses et le changement de rythme était des plus agréables à ses yeux.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Si son guérisseur pouvait venir ? La demande était curieuse, mais Aliaume devait bien admettre qu’il n’avait jamais songé à cette option. Le vieil homme n’était pas habile quand il s’agissait de concilier vie publique et vie privée. Remarquez, il n’était pas plus doué pour mener l’une ou l’autre de ces vies de façon séparée. C’est que tout se confondait avec une irrésistible aisance dans cette caboche pleine à exploser.
« Et bien, je dois admettre que je n’y ai jamais songé, répondit-il en passant sa main dans sa barbe interminable. Bastien est jeune pour un guérisseur et si je ne dis pas de bêtises, il est devenu papa il y a trois ou quatre mois… à moins que ce soit il y a trois ou quatre ans, je ne sais plus. C’est un bonhomme fort occupé, mais oui je pourrais toujours lui demander. Encore que je ne sois pas certain que mes examens mensuels vous paraissent très intéressants. J’ai une santé de zinc ! »
Et une expression qui foutait le camp ! Une de plus ! Et que dire de la réponse que l’adolescente lui avait gentiment offerte ? La question, il l’avait pourtant bien formulée, en toute conscience, une poignée de secondes plus tôt… et bien… partie elle aussi, dans ce qu’on appelle plus communément le long canal qui fait entrer les mots dans une oreille et les fait ressortir par l’autre sans que cela ne s’agrippe où que ce soit. Le plus étonnant c’est que Bastien assurait qu’il n’avait aucun problème d’audition, seulement un déficit d’attention. Mais Aliaume n’avait pas la moindre idée de ce que signifiait cette maladie bénigne, du moins s’il se fiait au peu d’insistance que son guérisseur mettait à l’en soigner.
Toutes les connexions neuronales du directeur se rétablirent subitement quand l’adolescente le qualifia « d’inventeur habile ». On avait beau dire, même à un âge très avancé il était très difficile d’oublier ce qui vous caractérisait le mieux.
« Faites donc, faites donc, l’encouragea-t-il. Encore un peu de chocolat ? »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Le regard bleu de Lorie s'était posé sur la fontaine. Il était toujours intéressant de voir les choses dans une temporalité différente ou avec un point de vue autre. Posant néanmoins son attention sur l'homme qui lui tenait compagnie, elle ne manquait pas une miette. Oh ce n’étaient pas vraiment les examens mensuels qui intéressait Lorie, mais plutôt de discutait avec cet homme fort occupé. Elle prit le temps de composer une petite réponse avant de se lancer.
« Avec tout mon respect vos examens mensuels n’étaient pas vraiment au cœur de mon intérêt, mais échanger sur son approche à comme une couleur chatoyante… Mais loin de moi l’idée de le déranger si celui-ci est occupé. »
Au moins lui, il s'occupait de ses enfants, ou du moins il en avait l'air. Ce n'était pas comme s'il disparaissait pour revenir un ou deux jours par mois, laissant l'éducation à une préceptrice magique. Quoique, elle n'en savait rien, mais l'idée de le savoir plus intéressant que ses propres parents étaient suffisamment pour nourrir son imagination. Revenant rapidement à la réalité la blonde était contente de pouvoir enfin poser sa question. Elle la traînait depuis si longtemps. Restait que maintenant fallait la formuler correctement. Pourtant, elle l'avait fait des centaines et des centaines de fois dans sa tête. Néanmoins, devant le fait accompli, rien ne semblait être satisfaisant dorénavant.
« Je voulais savoir comment était fabriqué les jeux d’échecs version sorcier. Lorie marqua une petite pause. Je sais que parfois les pièces refusent de jouer des coups considérés comme mauvais. Je n’ai jamais eu la chance de tester, mon professeur étant non-magique j’ai toujours joué sur des versions non magiques. Les coups refusés sont-ils déterminés par le niveau du créateur du jeu et sa capacité à juger ce qu’est un mauvais coup ? »
Il arrivait parfois qu'à haut ou très haut niveau certains coups soient considérés comme mauvais, mais il y avait une raison à cela. Il y avait aussi ce dicton mauvais coup non contesté devient un bon coup. Elle ne savait pas à quel point la magie pouvait être profonde lorsqu'il s'agissait de son jeu favori. Est-ce que la magie établissait les meilleurs coups comme pouvait le faire un ordinateur non-magique. Si c'était le cas à quel point il restait d'humanité dans le calcul magique ? Car certains coups parfaits étaient juste inhumains tant ils n'étaient pas forcément logiques ou inscrits dans une stratégie ou bien une tactique. Les échecs version sorcier pourraient être une incroyable source d'entrainement si Lorie pouvait jouer contre elle-même avec cette aide magique. Enfin pour ça il fallait déjà avoir un jeu d'échecs, car en cette nouvelle année scolaire tout était bien vide.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
La question de la petite… quel-était-son-nom-déjà… le prit momentanément au dépourvu. C’était bien la première fois qu’on sollicitait son expertise sur le jeu d’échecs — descendant de grands-parents sorciers et de parents sorciers, le jeu d’échecs était forcément sorcier, c’était une précision sans intérêt pour lui ; il ne viendrait à l’idée de personne de contester qu’une baguette magique appartenait au monde de la sorcellerie. Il y avait déjà joué ; à un niveau tout à fait amateur. Il connaissait deux-trois coups bien léchés, mais sans plus. En revanche, l’artisan qu’il était en connaissait tout un rayon sur la magie qui habitait ses intelligentes pièces de bois. Il rassembla ses souvenirs accumulés au cours d’un très grand nombre de conventions artisanes — ce qui, dans cette immense caboche, ressemblait à une chasse aux papillons avec une tapette à mouche : le but étant d’aplatir un maximum de souvenirs contre la paroi de sa boîte crânienne avec une tapette beaucoup trop petite… des Waddiwasi auraient été plus pratiques pour clouer tous ces souvenirs dans cette cervelle.
« Il existe autant de jeux d’échecs qu’il existe de fabricants, répondit Aliaume en se souvenant d’une version dont les pièces facétieuses refusaient de bouger si on ne les traitait pas comme des amies. C’est pour cette raison que vous ne trouverez jamais un manuel de règles officiel. Chaque plateau applique sa propre volonté aux joueurs. Une volonté qui ne se révèle qu’au fil des parties disputées. Ceci explique sans doute pourquoi les champions ne se maintiennent jamais bien longtemps à leur place. »
Dans un tourbillon de plumes, Odin fondit sur Aliaume pour atterrir sur la piste d’atterrissage que constituait son crâne luisant. Le corbeau picora gentiment la piste en déployant ses ailes. Un signe d’alerte que le vieil homme comprit malgré le mutisme qui frappait encore le pauvre animal : Emilien le cherchait. Peut-être même qu’il fouinait déjà du côté des jardins !
« Vous ne le saviez peut-être pas mais le caractère du bois choisi pour confectionner le plateau et les pièces influe nécessairement sur les règles, autant que la volonté propre de l’artisan qui les a ensorcelés pour confectionner le jeu d’échecs. N’y cherchez aucun autre mystère. »
Il leva le nez en décalant le parapluie de son champ de vision. Le gros de l’averse était passé. La pluie était désormais plus fine.
« Il semble que je vais devoir prendre congé, dit-il, amusé. On me cherche et il est hors de question qu’on me trouve. Est-ce que je peux d’ailleurs compter sur votre discrétion ? »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie fut surprise par la disparition soudaine de la tasse. Décidément le directeur de cette académie était des plus mystérieux, surprenant et habile. Lorie ne pouvait que fortement l'apprécier et éprouver un profond respect pour celui-ci. Elle continua de le scruter, il semblait être ailleurs, comme parti dans un monde différent, mais la blonde n'était pas surprise par cela. Elle attendit donc la réponse du directeur, imaginant plein de choses et notamment le fait qu'il existait un échiquier permettant d'élever son niveau de jeu au-delà de son professeur, voir le meilleur joueur au monde. Le suédois était véritablement très bon, il était dans une autre catégorie. Ce n'était pas pour rien qu'il avait le classement FIDE le plus haut de l'histoire. Prise un peu entre ses émotions qui lui rappelaient qu'en l'état des choses elle était incapable de pouvoir jouer et encore plus de se concentrer suffisamment pour être à son meilleur niveau, et ses fantasmes de posséder un échiquier permettant de surpasser le suédois et les acteurs majeurs de la scène mondiale non-magique.
Lorsque la réponse fut donnée, Lorie prit le temps de réfléchir afin de simplement mettre en ordre les choses. Ainsi donc c'était comme les baguettes. C'était si logique maintenant que c'était dit, elle s'en voulait un peu de ne pas y avoir pensé. Elle commençait à regretter de ne pas avoir pris artisanat magique pour ne pas trop aller contre la volonté de son paternel stupide, si seulement elle était allée jusqu'au bout de sa démarche... C'était un peu frustrant, mais le contrat avait été signé l'an dernier et elle ne pourrait sans nul doute pas revenir en arrière. Elle n'était pas le genre de fille ou d'élève à venir se plaindre de toute façon elle ferait avec et si le besoin s'en ferait sentir, elle se débrouillerait seule ou elle demanderait à sa petite sœur qui venait d'être répartie à Lug. Au moins elle, elle pourrait suivre ces cours sans être embêter par son père, surement qu'il râlerait après la devineresse, la traitant d'incompétente.
« Merci pour vos réponses monsieur le directeur. Prononça Lorie calmement. »
Contente de ces réponses, un large sourire pouvait être aperçu sur le visage de l'adolescente. Elle fut surprise de voir le corbeau revenir sur l'épaule, mais finalement ce n'était pas non plus si incroyable. Même s'il s'était fait réduire au silence un peu plus tôt ça ne devait pas changer grand-chose à la relation qu'il entretenait avec le directeur. Étonnée de la demande de monsieur Delalande, Lorie prit quelques secondes pour apporter une réponse.
« À l'image des maléfices qui sont dans l’impossibilité de sortir de ma baguette, je ne vous ai alors jamais croisé et ne peut donc fournir la moindre information. Passez une bonne fin de journée monsieur le directeur, encore merci pour votre temps. Elle s'arrêta pour marquer un petit silence tout en posant ses yeux sur le corbeau qui lui avait surement permit cet échange. Au revoir monsieur le corbeau. »
Aussitôt la petite blonde se repositionna sur le bord de la fontaine, observa la nymphe qui s'était retrouvée sans bras lors de sa première année, puis après un sourire, attacha à nouveau le petit bouchon à sa baguette pour reprendre sa pêche. En plus la pluie était bien plus fine et par conséquent plus facile à ignorer.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Par la pierre de Lune, il vieillissait tous les jours — mais qui sur cette terre ne vieillissait pas au même rythme que lui ? — ça n’en faisait pas un condamné à la peine finale pour autant ! Il avait un contrat avec la Faucheuse, du genre à vous décoiffer sérieusement le premier juge de la Chambre de jugement de Paris qui essaierait d’y trouver à redire. Alors qu’on lui laisse la paix ! Il allait pour le mieux. Mort et Maladie attendrait ! Ce n’est pas comme s’il leur laissait franchement le choix.
« Je n’oublie jamais un service rendu. Jamais. »
Il adressa un clin d’œil qui se voulait complice à l’adolescente.
« Noël n’est plus très loin. Tout ira bien. »
Aliaume n’avait pas du tout conscience du caractère énigmatique de la phrase qu’il venait de prononcer, mais peu importait. Il se comprenait, c’était l’essentiel. Il souhaita une journée radieuse à sa nouvelle amie et s’en alla, tout guilleret, par la pelouse qui le conduisait à l’ombre des bois où il devait finir par être perdu de vue.
« Sois poli oiseau-de-malheur, la petite t’a dit au revoir. »
Un frisson parcourut l’échine de l’animal lorsque le vieil homme lui souffla sur le bec. Il s’écria « CROA ! ».
« Brave bête, déclara Aliaume. Tu as bien mérité ton assiette de bouillabaisse, va. »
Et le corbeau de croasser à s’en égosiller.
« TAIS-TOI UN PEU OÙ IL VA NOUS REPÉRER ! »
[FIN]
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Les yeux tournés vers le directeur qui d'un pas décidé avait visiblement l'envie de retourner vers la forêt, Lorie laissa échapper un sourire. Son directeur était définitivement bien plus intéressant que l'ancienne directrice qu'elle avait croisée. En tout cas il était aussi très amusant. Cependant, elle n'avait rien comprit à cette histoire de Noël. En quoi le fait qu'il ne soit plus très loin faisait que tout allait bien ? La petite blonde gonfla les joues, durant cette réflexion avant de hausser les épaules. Décidément les adultes aimaient visiblement bien se laisser porter par des énigmes. Elle laissa échapper un petit rire amusé lorsque le corbeau lui répondit et lui fit un petit signe de main pour lui dire au revoir. Puis une fois que le calme fut de retour, la jeune Ogme aux cheveux d'or se concentra à nouveau sur ce petit bouchon. Elle resta le temps qui fallait, mais lorsque le froid fut trop compliqué à tenir elle rangea toutes ses affaires et prit la direction du dortoir de sa confrérie. Elle pourrait prendre un bon bain chaud. De quoi raviver ses souvenirs concernant le chocolat qu'elle avait expérimentée. Elle ne savait pas vraiment quel chocolat était meilleur entre celui de sa maitresse de confrérie et celui de son directeur. Peut-être que les deux préparations se valaient et que le contexte était important dans la comparaison. Voilà, c'était ça, ils étaient à égalité !
Lorsqu'elle arriva dans le boudoir de sa confrérie, elle croisa sa sœur qui lui demanda alors où elle était passée. Lorie souriait dans sa direction et se contenta alors de répondre avec un geste indiquant qu'elle ne savait pas. Rose ne comprit pas tout de suite, mais elle n'insista pas sur ce point, cependant elle voulait voir sa sœur descendre pour le repas du soir, et ça ce n'était pas négociable pour l'aîné de Lorie. La troisième année soupira, mais accepta, c'était en effet plus raisonnable malgré l'envie qui était absente. S'il ne fallait faire que ça pour avoir la tranquillité alors c'était faisable. Néanmoins, elle irait à la table de Peny. Mais avant un bon bain s'imposait, il ne fallait pas négliger que le fait de rester autant de temps sans bouger fatiguer le corps, alors si en plus de sa fatigue moral son corps faisait des siennes, il ne serait pas étonnant de voir la seconde fille Fleury s'évanouir lors d’une journée somme toute normale. Lorie profita donc de ce moment de détente pour réfléchir à sa discussion avec le directeur. Après tout elle avait eu l'aval de celui-ci pour s'accrocher à ses convictions, monsieur Vaillant serait bien impuissant dans ce cas. Plongeant sa tête dans le bain elle souffla pour faire des bulles. Son professeur de conjuration, n'aimerait surement pas entendre une gamine de quatorze ans, lui dire clairement qu'elle ne ferait plus d'effort. Pourquoi c'était si compliqué ? Possiblement que monsieur Delalande avait raison, peut-être que finalement, même si ses cours étaient intéressants, Lorie aurait été mieux dans une autre confrérie, ainsi elle n'aurait pas eu besoin de faire semblant. Devant cette sensation de vulnérabilité la petite blonde disparut sous l'eau.
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