Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
C’était un soir comme un autre, à une liste d’exceptions près : l’annonce de la tenue prochaine du Tournoi des Trois Sorciers, de l’arrivée tout aussi prochaine de deux délégations étrangères, assortie à la visite de la ministre des Affaires magiques en exercice, mais ce n’était pas tout puisqu’à cela s’ajoutait l’annonce du changement de professeur d’Alchimie suite à la démission du professeur Lambarna durant l’été, et la présence tardive de ce même professeur d’Alchimie — accessoirement directeur de cette même académie où il comptait bien ré-officier dès lundi (Aliaume a enseigné l’Artisanat Magique de 1972 à 2002) — dans une Grande Galerie déserte.
Assis sur un banc dont les jambes trépignaient d’impatience à l’idée de détaler d’ici, Aliaume Delalande observait les portes massives qui gardaient l’entrée de la tour d’Ogme comme on regarde une œuvre d’art suspendue devant soi dans un musée. De fait, ces portes avaient une histoire que personne ne soupçonnait. Une histoire comme rarement en ont des œuvres d’Artisanat Magique comme celles-ci. Mais tel n’était pas la raison de la présence d’Aliaume Delalande, à bientôt vingt-deux heures, mastiquant une gousse d’arbre-coeur dont il s’était fait livrer un bocal entier le matin même par LE Karim Branchiflore en personne !
La raison de la présence d’Aliaume Delalande dans la grande galerie déserte s’appelait Lorie Fleury — encore que le vieil homme avait un sérieux doute… était-ce Laura ou bien Lydie ? — et c’est ses pas qu’il finit par entendre résonner après qu’elle eut, très certainement, terminé d’assister à la réunion qui avait traditionnellement lieu entre les délégués des trois Confréries après que tout le monde ait gentiment rejoint sa tour le ventre rempli. Aliaume observa l’adolescente par-dessus son épaule, elle qui se trouvait saluée en silence par chacune des statues de nymphe qui jalonnaient sa traversée de la grande galerie.
Il attendit qu’elle soit assez près pour lui adresser un sourire avant de se décaler sur le banc, comme une invitation à s’asseoir si le cœur lui en disait. Le coeur du Mage Blanc lui disait tout autre chose, quelque chose qui ne s’était plus produit depuis quelques années déjà... C’était il y a vraiment longtemps… Dans un tout autre contexte. Mais le moment n’était pas encore venu d’en parler.
« J’espère qu’il vous reste encore un peu d’énergie sous les talons pour supporter la présence d’un vieil homme ? demanda Aliaume en accompagnant du regard les déplacements de l’adolescente. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Le début de l'année commençait sur les chapeaux de roues. La brune était ravie de sa rentrée, l'annonce, le repas, la réunion. Tout présageait que l'année serait mouvementée, que le temps serait à la fois pris dans le prisme d'une perception lente et accélérée. Marchant pour rejoindre le boudoir de sa confrérie, la brune saluait toutes les nymphes le sourire aux lèvres, d'un signe de la tête. La hâte de s'asseoir devant son échiquier dans le boudoir venait bercer le cœur de la brune qui pourtant, ne pressa pas le pas. Ils résonnaient à la même fréquence, un rythme chirurgical.
Perdu dans ses pensées, orienté sur une partie d'échecs en particulier, elle repassait la suite d'image du tournoi de Monaco. Il avait une saveur particulière, Lorie ne savait pas quel gout avait le buis. Ce bois qu'elle avait fait danser devant ceux qu'elle considérait comme de grands joueurs d'échecs. Son esprit dérivant, elle se demandait quelle sensation cela ferait de se retrouver en face d'un équivalent sorcier. De ses souvenirs les échiquiers avaient une âme, âme que le sorcier devait s'efforcer de comprendre. Échiquier, allié des deux joueurs, cela devait être amusant… L'adolescente avait soudainement envie d'y jouer, gagnant en attrait pour cette forme de jeu.
Sa dérive s'arrêta lorsqu'elle reconnut la silhouette qui était assise devant les portes du boudoir de sa confrérie. Surprise Lorie mit un terme au rythme des réverbérations de ses pas, elles venaient de ralentir. S'approchant elle salua son directeur toujours le sourire aux lèvres.
« Cela ne me prend pas d'énergie monsieur. » Sa voix était comme à son habitude délicate et mélodieuse.
Elle prit place avec minutie et grâce exactement à l'endroit de l'invitation. Adoptant la posture qui l'accompagnait depuis sa première année, celle qui lui valait parfois ce surnom de princesse qu'elle détestait tant. Son regard se porta sur l'anneau de chevalerie autour de son doigt, mais elle préféra rester silencieuse, écouter d'une oreille attentive ce qu'il avait à lui dire comme elle pouvait faire avec ses sœurs.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Aliaume l’ouvrit de la main gauche tout en approchant sa baguette magique de sa main droite. Sans avoir à prononcer la moindre formule, le Lumos s’activa, éclairant le cadran de l’instrument.
« Rien n’est éternel à ce qu’on dit. Pourtant, en tout temps, des sorciers et des sorcières ont cru qu’il existait une sorte d’équilibre entre les forces du Bien et les forces du Mal. Un genre de statu quo… »
Le cadran se divisait en deux parties égales : la première, blanche, était occupée par un arbre au feuillage massif d’un noir profond ; la seconde, noire, accueillait un enchevêtrement de racines qui formait comme un buisson inversé d’un blanc immaculé. A bien y regarder, un scintillement doré allait de l’un à l’autre sans explication concrète.
« … Je ne crois pas que votre rencontre avec cette vieille bique de Maxime l’année dernière soit le fruit du hasard… »
Il aurait volontiers ajouté que le fait qu’un anneau de chevalerie finisse à son doigt n’était pas non plus une coïncidence, mais il garda ce commentaire pour lui.
« … Sa valise a décelé chez vous quelque chose qu’il m’a fallu du temps à comprendre. Vous voyez comme l’arbre et le buisson entretiennent des échanges récurrents ? »
De fait, le scintillement doré passait de l’un à l’autre comme poussé par des vents contraires.
« Cela signifie qu’en ce moment même les vents ne tournent pas plus en la faveur des forces du Bien qu’en la faveur des forces du Mal. Je suis de ceux qui pensent que les choses doivent demeurer ainsi aussi longtemps que durera notre monde. L’Ordre de la Voie Blanche, auquel j’appartiens, est l’un des plus anciens regroupements de Mages Blancs du monde de la sorcellerie. Il travaille chaque jour à maintenir cet équilibre. Si un Mage noir, quelque part, acquiert trop de pouvoirs, c’est à nous qu’il revient de le nuancer. »
Le vieil homme leva ses yeux d’un vers saisissant vers ceux de la jeune fille.
« Mais comme je vous le disais, rien n’est éternel. Je n’échappe pas à la règle. Mais je peux encore faire éclore un bourgeon de magie blanche avant de tirer ma révérence… »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Attentive Lorie écoutait en silence. La petite montre semblait fasciner l'adolescente qui ne décrochait pas son regard de celle-ci. Elle trouvait l'objet d'une grande beauté, si bien qu'elle éprouva encore des regrets de ne pas avoir choisi l'artisanat magique. Mais l'heure n'était pas à cette expression, elle ne pouvait revenir en arrière et devrait comme une enfant découvrant la magie profiter de chaque instant et chaque objet qui apparaîtraient devant elle. Qui sait, sa curiosité la pousserait sans doute à acquérir de fébrile connaissance dans le futur.
La lueur dorée avait cette allure de Lumos. Celui qu'elle utilisait alors qu'elle pouvait modeler sa magie sans se soucier du danger ou de l'utilité de celle-ci. Toutefois, le scintillement de la montre apparaissait plus lumineux, plus profond, merveilleux. Lorie avait toujours été persuadée que le monde était dénué de manichéisme, qu'il apparaissait sous des nuances de gris. Le mal était quelque chose de subjectif, culturel et personnel, comme le bien. Bien que les limites de la société essayassent d'encadrer cela. Les allers retours du scintillement était apaisant, tout autant que la voix qui expliquait le tout. Lorie se contentait de répondre par des hochements de tête, sans briser son silence. Alors que son directeur avait fini, son regard était toujours porté sur le cadran de l'objet. Son esprit était en train d'encaisser la dure réalité. En effet, personne n'échappait à la règle, et ce, malgré toute la magie possible et inimaginable, même avec l'alchimie… Viendrait toujours un jour ou l'esprit voudrait s'évader. Passer de l'autre côté.
Plusieurs questions venaient traverser l'esprit de la brune, le rôle de madame Maxime, cette valise bien mystérieuse ou encore cet ordre. Sans oublier son ancienne professeure de Gastromagie, elle se souvenait de monsieur Vaillant et de sa maitresse de confrérie démunie face à la magie de sa blessure. Était-elle issue de la voie noire ? Une certaine part de déni envahissait Lorie. Après quelques secondes de réflexion la brune détourna son regard de l'instrument tenu par son directeur. Ses yeux bleus plongèrent dans le regard du mage blanc. Son esprit avait effectué le travail tout seul devant les paroles de son directeur. Même si elle se demandait toujours pourquoi c'était à elle que l'on expliquait cela et pas à quelqu'un de plus important.
« Le bourgeon… Vous désirez que j'intègre l'ordre de la voie blanche ? » La brune avait du mal à se projeter, ce n'était qu'une adolescente et elle ne connaissait rien au monde qui semblait s'ouvrir devant elle.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« Je parie que vous n’avez jamais utilisé le moindre petit maléfice durant votre existence… Je me trompe ? »
Le regard en coin qui accompagnait cette interrogation était au moins aussi espiègle que le sourire qui flottait sous la moustache du vieil homme.
« Je parie que vous croyez en un monde meilleur qu’il ne l’est réellement… »
Il laissait volontairement planer plusieurs poignées de secondes avant de poursuivre ; toujours sur le même ton solennel.
« … un monde qui ne vous a pas épargné jusqu’à maintenant. Un monde que vous voudriez voir changer, mais vous ne savez pas trop comment… »
Aliaume frotta ses mains fripées l’une contre l’autre, sa baguette momentanément posée sur sa cuisse droite. Une façon comme une autre de faire repartir sa circulation sanguine lorsque les fourmillements ne se faisaient que trop désagréables.
« … vous exécrez le Mal car vous savez combien il est destructeur, sous quelque forme que ce soit… »
Une main sur sa baguette magique, l’autre autour de son bâton de marche, il se mit debout non sans marmonner des menaces dans sa barbe à l’encontre de ces hanches qui lui causaient un mal de chien à chaque fois qu’il devait abaisser ou lever ses fesses de quelque part.
« … je suis presque même prêt à parier que vous vous êtes toujours sentie un peu spéciale. Un peu différente des autres. Comme si quelque part au fond de vous, vous vous sentiez depuis longtemps capable d’accomplir de grandes choses sans jamais savoir quoi et encore moins comment… »
Cette fois, il décocha à l’adolescente un regard amusé par-dessus son épaule.
« Vous voyez, vous êtes déjà sur cette voie. Je ne peux pas vous promettre que ce sera facile, mais je peux au moins prétendre que nous ne perdons rien à essayer. Qu’en dites-vous ? »
« CRÔA !? hurla le corbeau qui observait de loin la scène depuis le début lorsqu’il se posa sur l’épaule de son vieux maître. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
La pénombre reprit ses droits alors que le regard de la brune suivait le rangement de l’objet fascinant. Celui-ci se détourna une nouvelle fois vers son directeur lorsqu’il n’eut plus rien à se mettre sous la dent. Ses yeux aux nuances de bleus se posa très vite sur les portes de la tour de sa confrérie, chutant dans le vide de l’obscurité. Elle laissa seulement sa tête faire un petit mouvement de négation pour donner suite à la première question qui venait de la frapper. Pas le moindre petit maléfice n’était sorti de sa baguette, pour le plus grand désespoir de son professeur de conjuration du mal. Au fond Lorie était persuadée qu’elle pourrait lui arracher un sourire si elle venait à en lancer qu’un tout petit. Malheureusement, elle devrait supporter le visage fermé de celui-ci et les remontrances qui allaient avec, car ce n’était pas maintenant qu’elle allait briser ses convictions.
Les paroles du directeur se déroulaient comme celles d'un vieux sage, ne laissant pas vraiment le temps à l'adolescente de répondre. Tous les mots qui formaient les phrases étaient suffisamment précis pour laisser Lorie sans voix. La bouche entrouverte elle était spectatrice d'un conte dont elle semblait être l'héroïne. La confusion s'était emparée d'elle avec une facilité insensée. La seule chose qui lui fit froncer les sourcils fut ce pari, Lorie avait toujours pensé qu'elle était une fille banale, différente oui, mais pas spéciale. C'est un peu le souffle coupé qu'elle fit un mouvement vers l'arrière comme pour prendre du recul sur les choses et sur les paroles qu'elle venait d'entendre. Elle resta silencieuse un petit moment, repassant dans son esprit la musique du conte qu’elle venait d’entendre.
Sursautant au cri du corbeau qui venait de se poser sur l'épaule du conteur, elle laissa son visage stupéfait au profit d'un visage décontracté, accompagnant celui-ci d'un sourire chaleureux dont elle avait le secret. Les yeux océan posé sur l'oiseau qu'elle peinait à distinguer dans la pénombre elle brisa le silence qui avait élu domicile dans le couloir. « Bonsoir, monsieur le corbeau » dit-elle d'une petite voix. Lorie détourna alors son regard, cherchant celui de son directeur tout en s'éclaircissant la voix.
« Je suppose que oui… » dit-elle en accompagnant les quelques mots prononcés d'un mouvement de tête approbateur. Elle ne savait pas dans quoi elle s'embarquait, mais l'homme devant elle semblait savoir quelle direction prendre. Sa présence avait une aura rassurante et de confiance. Un peu comme si elle venait de boire un des merveilleux chocolats chauds dont lui seul avait le secret.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Il semblait réellement soucieux.
« … ou bien les espagnols, hm. Il me faudra interroger le professeur Uharte sur cette question. »
« CRÔA ! CRÔA ! confirma le corbeau en basculant frénétiquement son regard d’Aliaume à Lorie. »
« Que diriez-vous d’un petit voyage loin de nos murs ? Tous les Mages Blancs consacrent leur existence à entreprendre des voyages dont la destination finale n’est pas toujours une évidence, mais tous, sans exception, se souviennent de leur tout premier voyage au royaume de Brocéliande car c’est là que tout commence pour chacun d’entre nous. »
« CRÔA ! s’enthousiasma Odin. »
Le sourire du vieil homme s’estompa. Le temps pour lui de jeter un charme du Portoloin au banc sur lequel il était assis il y a encore quelques instants. Le banc ne s’en trouva pas fondamentalement changé, mais Lorie pouvait sentir que quelque chose dans l’air ambiant était très différent. Peut-être était-ce la magie de l’aventure ou celle de l’inconnue ?
« J’ai conscience que cela fait beaucoup en très peu de temps, mais si au fond de vous-même, vous trouvez la force de me faire suffisamment confiance, il vous suffit de rester assise. Le banc fera le reste. »
« CRÔA-CRÔA ! conseilla le corbeau. »
« Ou bien vous pouvez renoncer à tout cela, vous levez, et rejoindre votre tour où, j’en suis sûr, vous trouverez tout le confort dont on puisse rêver. En comparaison, ce que je vous propose sera, comment dire, moins douillet… à vous de choisir mademoiselle Fleury. Si nous ne sommes pas amenés à nous revoir ce soir, je vous souhaite une bonne nuit. »
« CRÔAAAA ! ajouta Odin en tordant son cou pour jeter un regard noir — ses yeux de la même couleur ne savaient lancer que ce type de regard — à la déléguée. »
Aliaume s’éloigna au son de son bâton frappant lentement le parquet de la grande galerie, salué avec une grâce sans pareille par les statues de nymphes.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Le corps de Lorie laissa transparaître un léger sursaut lors de l’exclamation du vieil homme. Son regard bleu observait celui-ci douter de la provenance du mot qu’il venait d’employer. Elle était presque sûre que cela venait de l’espagnol, mais un doute planait suffisamment au-dessus de la jeune fille pour qu’elle ne dise rien à ce sujet. Le corbeau arracha un petit rire à peine audible à la fausse brune, qui mit même la main devant sa bouche pour dissimuler son amusement.
Un voyage ? Songea la déléguée intriguée par cette proposition. Sa curiosité venait sérieusement d’être sollicitée. Le temps nécessaire au directeur pour finir son explication et les yeux de Lorie arboraient une brillance aussi vive que celle d’une étoile. Était-elle en train de rêver ? Le croassement du corbeau la ramena sur terre. Il y avait dans l’atmosphère quelque chose que l’adolescente avait du mal à exprimer par des mots. Était-ce le goût de la liberté qui venait frapper à sa porte ?
Des papillons dans le ventre, la jeune Ogme ne bougea pas d’une semelle, écoutant les dernières paroles du directeur comme une douce mélodie. Elle n’avait pas vraiment besoin de réfléchir, elle ne voyait pas la moindre ligne temporelle dans laquelle elle ne resterait pas assise sur ce banc. Lorie observa alors le directeur marcher en s’éloignant. Le regard du corbeau sonnait comme une dissuasion de rejoindre la tour de sa confrérie. Sourire aux lèvres Lorie fit un petit signe de la main a celui-ci, puis posa son regard sur le sol. Son cœur battait fortement dans sa poitrine, les papillons dans son ventre tournoyaient de plus en plus vite. Quel était ce voyage ? La magie et ses mystères ne finiraient jamais de surprendre la jeune élève.
Assise sur le banc Lorie attendait sur celui-ci comme un pantin que l’on aurait posé sur une étagère.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Il fit craquer ses orteils en appréciant le contact de l’herbe sous ses pieds nus. Odin, lui, quitta son épaule pour aller à la rencontre de ses semblables demeurés en ces lieux chargés de magie.
Assise sur son banc de l’académie, au milieu d’une forêt nocturne qu’elle n’avait aucun moyen de reconnaître, l’adolescente que le vieil homme avait décidé de prendre sous son aile semblait quelque peu groggy. Le Mal du Portoloin ? Peut-être. Aliaume n’était pas franchement doué pour le reconnaître et de toute façon là n’était pas la question : il n’avait aucun moyen de le soigner si c’était le cas.
Détournant ses yeux sur les arbres multi-centenaires, Aliaume prit une profonde inspiration chargée de ce vibrant parfum d’humus qu’il affectionnait tout particulièrement.
« Quelle joie de revenir dans cet endroit, pensa-t-il à voix haute. »
La baguette haute, presque plus haute que sa tête — son épaule meurtrie par l’arthrose ne lui permettait guère de la hisser plus haut — le vieil homme alluma une grande lumière qui dessina un cercle de plusieurs dizaines de mètres de diamètre autour de lui.
« Je suis ravi que vous ayez fait le choix de vous y aventurer avec moi. On me dit piètre guide du château, mais je suis bien meilleur quand il s’agit de faire visiter la mythique Brocéliande. »
Il ramena brièvement son attention sur l’adolescente et l’encouragea d’un hochement de tête.
« Debout, nous avons un peu de chemin à parcourir avant que vous ne receviez votre destin. »
Il sourit comme un grand-père sourit à sa petite-fille attablée autour d’un délicieux goûter pour lui faire comprendre qu’il est temps de faire ses devoirs.
« CRÔA ! CRÔA ! CRÔA ! CRÔA ! hurlèrent de concert plusieurs corbeaux invisibles à l’œil même le plus attentif. »
« Ah oui, c’est vrai, marmonna Aliaume. Il serait préférable que vous sortiez votre baguette et que vous apportiez un peu de lumière autour de vous. Non pas que la forêt soit dangereuse, je vous rassure. Mais il est nécessaire qu’on vous voit. »
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Il ne fallut pas longtemps pour que Lorie soit prise dans un tourbillon qui ne dura que quelques secondes. Les flashes du vortex devenaient de plus en plus familiers et pourtant, dès que l’adolescente en sortait, elle avait cette sensation désagréable. Une nausée qu’il fallait dompter. Ainsi, Lorie prit quelques secondes pour elle, le temps de quelques longues respirations profondes pour faire passer ce mal du portoloin qui n’avait pas sa place lors de ce voyage.
Quand le mal ne fut qu’un souvenir, le directeur l’invita à se lever et l’adolescente ne prit pas longtemps pour le faire. Observant son directeur sous la lumière de sa baguette, puis les environs dans la nuit. Alors c’était cela le royaume de Brocéliande ? Sans vraiment comprendre la raison, la fausse brune se sentait bien. Elle s’approcha du directeur tandis que les croassements des corbeaux rendaient le lieu particulier. Bon nombre de non-maj’ serait apeurés dans cette ambiance, pour Lorie c’était différent, peut-être était-ce à cause de son sentiment de liberté ou du voyage, mais elle avait le même émerveillement que lorsqu’elle avait fait ses premiers pas dans l’académie.
Laissant dans son sillage, quelques effluves de son parfum d’une rose subtile accompagnée de l’angélique, la déléguée sortit sa baguette sous les conseils de son professeur.
« Lumos » Souriante elle alluma celle-ci d’une douce lumière dorée, dans laquelle quelques particules blanches d’une grande pureté flottaient comme de la poussière. La lumière somptueuse, embellit par la dent de souffleur d’or qui avait pris place au cœur de sa baguette, était loin d’éclairer aussi loin que celle émise par la baguette de son directeur. Toutefois, celle-ci était largement suffisante pour que l’on puisse voir Lorie au travers de la pénombre. Silencieuse Lorie accompagnait les pas de son directeur en marchant à ses côtés.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Avançant à son rythme — un rythme qui ne pouvait être que lent vu les douleurs qui remontaient le long de ses jambes — le vieil homme souriait à la vie bien qu’il regrettait de ne pas profiter de la présence de son majordome, ce cher Emilien, pour tenir la chandelle du Lumos un peu plus haut encore. Mais tant pis, il lui fallait composer sans cette présence rassurante pour le vieil homme qu’il était.
Au bout de quelques mètres, des sons étranges s’éveillèrent autour d’eux. D’abord discrets, lointains, puis de plus en plus proches et nombreux. Aliaume était très doué pour faire comme s’il ne savait pas de quoi il en retournait, mais son sourire le trahissait quelque peu, ainsi que le regard en coin qu’il adressait parfois à l’adolescente pour saisir sa réaction. Ces bruits ne devaient pas être très rassurants, mais ils avaient le mérite de tester les jeunes recrues juste avant leur toute première révélation ; celle qui devait changer leur quotidien pour le reste de leur existence.
Une tache blanche se faufila dans le champ de vision d’Aliaume.
« CRÔA ! signala Odin. »
« Oui, il semblerait bien, répondit Aliaume comme s’il se parlait à lui-même. »
De quoi il en retournait ? L’adolescente ne pouvait évidemment pas le savoir, mais cette question s’évapora lorsqu’une hermine, au pelage d’un blanc éclatant, surgit d’un fourré pour les observer passer.
Aliaume ralentit progressivement puis s’arrêta à bonne distance pour laisser tout le loisir à l’adolescente d’établir un premier contact avec ce qu’il savait déjà être son animal-de-lien, cet être vivant si singulier qui faisait basculer une jeune sorcière dans la Voie Blanche, la voie des protecteurs de la paix et de toutes les formes de vie.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Les mouvements lents, Lorie pouvait profiter pour regarder autour d’elle. Il y avait une atmosphère étrange qui se dégageait de cette forêt et le silence contribuait à cet instant qu’elle trouvait onirique. Les arbres aux alentour avaient une allure de maître et la blonde du haut de quatorze ans s’amusait à les comparer à ceux qu’il y avait à l’académie. Ils étaient tous uniques, et majestueux. Les bruits de la forêt n’étaient pas inquiétants, peut-être que cela était dû à la présence du directeur. Mais la blonde les entendait comme le chant de la forêt. Lorsqu’elle entendit les sons étranges s’éveiller, elle inclina lentement la tête sur le côté, la curiosité de Lorie cherchait de quoi cela pouvait provenir, mais son esprit n’arrivait pas à accrocher une image.
Lorsque le corbeau cria, Lorie sursauta. On n’avait pas idée de crier ainsi au beau milieu de la nuit et de la forêt alors que tous les sens étaient en éveil. La réponse du vieil homme était encore plus mystérieuse. Alors qu’elle continuait de marcher et de regarder autour d’elle, Lorie pu apercevoir un animal les observer. Est-ce que c’était une belette ? Non, probablement une hermine. Les pas de Lorie s’arrêtèrent tandis qu’elle fixait l’animal d’un air curieux.
Lentement, elle s’approcha de l’hermine, celle-ci ne semblait pas peureuse, mais tout aussi curieuse que l’adolescente. Tandis qu’elle se dressa sur ses deux pattes arrière, Lorie était désormais à sa hauteur. Puis d’un mouvement lent et maniéré, elle s’agenouilla devant la petite créature. « Bonsoir… Fit-elle d’une voix délicate, tout va bien ? Est-ce que... vous êtes perdu ? » L’hermine inclina légèrement la tête, puis émit un petit gazouillement. Lorie approcha lentement le bout de son doigt vers elle. La réponse de l’hermine fut un petit pas en avant. Elle renifla Lorie, puis fit un deuxième pas en avant. Ainsi, la petite blonde ouvrit la main paume vers le ciel. « Vous avez faim ? Demanda Lorie avant de grimacer légèrement. Navrée, je n’ai rien que je peux te donner. » Dans le doute, la petite blonde fouilla son sac, mais elle n’avait pas le moindre reste de gastromagie. C’était son premier jour d'école, si le petit voyage organisé par le directeur avait été un mois plus tard, Lorie aurait sans nul doute eu quelque chose pour elle. « Vous… Tu es toute seule ? » La petite hermine gazouilla et Lorie écarquilla les yeux. Elle ne comprenait pas l’hermine, alors elle lui offrit un sourire. « Je suis navrée je ne comprends pas, mais tu… Peux profiter de notre lumière si tu veux, je ne sais pas où on va… Peut-être que c’est dans la même direction que toi » lui murmura-t-elle de manière optimiste. L’hermine renifla une nouvelle fois la main de Lorie et d’un mouvement vif grimpa le long de son bras pour se loger sur son épaule. Lorie laissa un petit rire s’échapper. « Très bien, je serais ta cochère pour ce soir. »
Lorie se releva d’un mouvement élégant. Puis elle se mit à marcher dans la direction de son directeur qui s’était arrêté un peu plus loin. Lorsqu’elle fut à sa hauteur l’hermine monta sur la tête de Lorie et observa Odin puis le vieil homme. « Je suis sincèrement navrée monsieur je ne voulais pas nous ralentir » s’excusa Lorie alors que la petite bête au pelage blanc gazouilla en fixant Aliaume.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« CRÔA-CRÔA ! salua Odin. »
En réponse, l’hermine gazouilla.
« Vous devriez lui trouver un petit nom, expliqua Aliaume. C’est un animal discret, encore que le blanc soit facile à repérer même pour un oeil mal entraîné. »
La condition d’animal-de-lien était si profondément ancrée dans le quotidien du vieil homme qu’il ne songea même pas à l’expliquer à l’adolescente. C’était comme une seconde conscience. Une évidence au moins aussi évidente que le fait de respirer. Sans compter que cela faisait un paquet d’années qu’Aliaume avait choisi d’emprunter le même chemin qu’il révélait aujourd’hui à l’adolescente. Les us et coutumes prenaient clairement la poussière dans un coin de sa tête.
Il sourit puis il adressa un clin d’œil à l’animal-de-lien qui lui aurait rendu s’il en avait la capacité. Au lieu de ça, l’hermine acquiesça et le trio — qui s’étendait désormais à un quatuor — reprit sa lente déambulation dans le royaume de Brocéliande.
« Il y a un point du règlement intérieur qui vous interdit de posséder un animal de compagnie. Vous devrez par conséquent lui apprendre à se faire discrète en toutes circonstances. Je ne pourrais pas plaider votre cause si vous veniez à vous faire prendre par l’un de vos professeurs. C’est compris ? »
Le vieil homme n’attendait pas de réponse en particulier. Il avait prévenu l’adolescente que la voie ne serait pas évidente.
« Ah la voilà ! »
Il n’avait pas compté le nombre de minutes qui s’étaient écoulées depuis leur arrivée, mais ses jambes jugeaient que cela faisait vraiment trop longtemps qu’elles soutenaient cette marche forcée. Peu importe néanmoins, il avait trouvé la porte du domaine royal : une grande arche naturelle dessinée par deux chênes penchés l’un sur l’autre. Des haies sauvages, plus hautes que le plus haut des hommes, constituaient un mur d’enceinte impénétrable de part et d’autre de l’arche. Au-delà, la lumière des sortilèges n’éclairait rien, pas le moindre centimètre de pelouse ou de terre, comme si un voile opaque recouvrait l’entrée du domaine royal.
« Au-delà de ces murs trône un roi multi-centenaires, expliqua Aliaume. L’authentique maître de la Voie Blanche. C’est devant lui que vous devrez prêter serment. »
Le sourire bienveillant du vieil homme était-il censé équilibrer la bizarrerie de la situation ?
« Annonce-nous au roi, ajouta-t-il à l’attention du corbeau. »
Odin fila droit sur l’arche dans laquelle il disparut.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Perchée sur la tête blonde de l’adolescente, l’hermine observait Aliaume puis descendit le long du bras droit de Lorie. Elle plongea son regard dans celui de la blonde, semblant attendre le nom que celle-ci lui donnerait. Lorie referma la bouche ébahie, elle venait de comprendre quelque chose qui était pourtant évident et elle opina du chef en réponse à son directeur. « Phlox… Murmura Lorie qui trouvait ce nom de fleur adéquat, mais l’hermine agita la tête de gauche à droite. Lorie grimaça légèrement avant de proposer autre chose. Que penses-tu de Lys alors ? » Cette fois, l’hermine opina du chef avant de remonter sur l’épaule de Lorie, posant son regard sur Aliaume elle semblait satisfaite.
Après avoir écouté le vieil homme, Lorie resta muette. Elle se contenta de porter délicatement sa main jusqu’à son épaule pour inviter sa compagnonne à se lover dedans. Les deux échangèrent un regard complice et Lorie toujours en silence acquiesça. Elle aurait tout le temps de trouver une routine avec Lys afin de ne pas se faire prendre sur ce point de règlement. Une flopée de questions parcourrait la tête de la blonde comme un torrent déchaîné par une pluie battante, mais pour autant, elle se retenait de les poser. Elle aurait le temps de revenir dessus à l’académie. Pour l’heure, elle se contentait de marcher au rythme des pas de son directeur.
Puis les pas furent stoppés et Lorie découvrit l’entrée du domaine formé par les murs de haies. Son cœur s’accéléra et elle observa le corbeau voler jusqu’au roi… « Est-ce qu'il y a quelque chose de particulier que je dois respecter une fois face au roi ? » Demanda Lorie sans détourner le regard de l’arche. Tout était si mystique et incroyable, un voyage qui serait gravé au plus profond de sa mémoire. « Lorsque nous serons rentrés à l'académie, pourrais-je vous poser mes questions concernant la voie blanche ? » Finit-elle par demander d'une voix calme en posant ses yeux bleus sur l’homme qui l’avait accompagné. Puis une fois l’avoir entendu elle fit un pas en avant. Elle était prête, elle prêterait serment auprès du roi multi-centenaire et s’engagerait dans cette voie.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« Contentez-vous de tendre l’oreille à ce qu’il vous dira. Ce n’est pas le genre de roi qui porte un grand intérêt au respect de l’étiquette… À vrai dire, je ne sais pas s’il y a jamais eu une étiquette… »
Il acquiesça à l’autre question en affichant un sourire mutin. Ce qui l’amusait, c’était que l’adolescente en était à imaginer qu’elle aurait la force de lui poser toutes les questions du monde après s’être entretenue avec le roi. Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’il était en partie là pour assurer le rapatriement de sa future carcasse épuisée dans la tour d’Ogme. Au final, elle pourrait lui poser toutes les questions qui lui traverseraient l’esprit quand elle arriverait à lui mettre la main dessus… demain ou un autre jour.
Une fois la porte du domaine royale franchie, Lorie découvrit un vaste espace inondé de lumière : celle d’un soleil à son zénith sur un fond de ciel sans nuage. Des papillons colorées volaient au-dessus du gazon et de la mousse. Un ruisseau traversait cette clairière bordée par les haies sauvages. Au centre, le regard de l’adolescente ne pouvait qu’être attiré par la présence d’un rocher en forme de siège face à un arbre blanc pour les simples et bonnes raisons qu’on ne voyait qu’eux et qu’Odin, le corbeau du professeur Delalande, se trouvait posé sur le dossier du siège.
« LORIE… dit une voix grondante comme un orage lointain. »
Le vent dans les feuilles blanches, le bruissement de l’herbe, les battements d’ailes des papillons, l’écoulement du ruisseau, tous les sons s’étaient atténués au grondement de cette voix étrange et pourtant rassurante.
« ASSIEDS-TOI MON ENFANT… »
En approchant, l’adolescente devait découvrir un être tout à fait exceptionnel : à vrai dire une silhouette humanoïde plus grande qu’un homme se découpant vaguement dans le tronc de l’arbre blanc. Une silhouette assise — plus que debout — des bras noueux posés sur des jambes enracinées et le visage nervuré, hérissé de branches. D’une lenteur quasi proverbiale, « l’homme-arbre » décolla un bras de son antre et y déploya des doigts disproportionnés pour indiquer à l’adolescente le rocher en forme de siège en face de lui.
« JE ME DOIS... DE DEMANDER… À TOUTES... LES NOUVELLES POUSSES... QUI ES-TU ? »
« Réponds avec tes tripes. Sa Majesté n’attend pas de toi une présentation scolaire, déclara une voix… »
… qui ne pouvait être que celle du corbeau dont les yeux noirs ne lâchaient pas l’adolescente.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Un soupire, ou plutôt une expiration calme, longue et apaisante plus tard, l’adolescente hocha la tête. Elle se contenterait d’être elle-même, sans les étiquettes et ce qui orbitait autour. Être soi-même était un bel idéal et il n’y avait pas besoin de plus, surtout si elle voulait trouver des réponses. Être honnête avec soi-même, voilà ce dont elle avait besoin.
Estomaquée par le lieu, son Lumos faisait pâle figure sous ce ciel chatoyant inondé de lumière. La magie était si grande et si vaste qu’elle se sentie petite, insignifiante. Pour autant, le peu de stress qui lui restait s’était totalement envolé comme balayé par le battement de l’aile d’un papillon coloré voltigeant au-dessus d’un gazon verdoyant. A chaque pas que faisait la blonde, sa bouche s’ouvrait un petit peu plus. C’était si calme, un vrai paradis, un endroit si serein qu’elle n’avait plus envie de le quitter, elle voulait passer ses jours à côté de ce ruisseau qui traversait la somptueuse clairière entourée de haie. Mais ce lieu n’était pas le sien, c’était celui de cet arbre blanc qui trônait majestueusement au centre de tout ce spectacle porté par la nature.
Sa respiration se coupa lorsqu’elle entendit son nom et l’adolescente ne se fit pas prier pour obéir à cette voix étrange mais rassurante. Assise, Lorie observait cet arbre, ou plutôt cette silhouette humanoïde ne faisant qu’un avec le tronc. Un sourire s’afficha sur le visage de Lorie, un sourire sincère qui venait balayer les émotions négative, les doutes ou encore la moindre petite once de mal être qui pouvait pulsait dans l’âme d’une adolescente en quête d’identité. La surprise ne s’arrêta pas là, elle n’était pas portée par la lenteur des mots, mais celle du corbeau. Odin ? Les animaux de lien en contact avec l’arbre pouvaient communiquer aussi clairement ?
« Je suis Lorie Fleury, je peine à savoir qui je suis vraiment, tout est très flou peut-être suis-je simplement banale, mais je veux prendre soin des gens. »
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« L’HUMAIN SE CROIT… UNIQUE… MAIS… IL EST SEMBLABLE… À TOUS LES SIENS… À L’ÉCHELLE… DE L’UNIVERS… ET PLUS ENCORE… À L’ÉCHELLE… DU TEMPS… »
Il sembla à l’adolescente qu’Odin acquiesçait à cela.
« JE TE VOIS… À PRÉSENT… poursuivit celui que tous les Mages Blancs considéraient à juste titre comme leur roi. »
« JE TE VOIS… TEL QUE TU AS… ÉTÉ… TEL QUE TU ES… ET TEL QUE TU… SERAS. »
Alors qu’il reprenait son souffle, une espèce de sourire embellit le visage de cet être à part entière. Lent à se dessiner, il n’en était pas moins chaleureux et aimant.
« Ouvre bien tes esgourdes petite, Sa Majesté va te révéler la voie, dit le corbeau en gardant ses billes noires fixées sur Lorie. »
« UNE TRAQUE ACHARNÉE… T’ATTEND… TON COEUR SOUFFRIRA… LA TERRIBLE PERTE… PUIS LA LENTE DÉCHÉANCE… MAIS LE DOUTE… DISPARAÎTRA… EN TON COEUR MEURTRI… LORIE-BAGUETTE-DE-VÉRITÉ… TU VENGERAS… L’ALCHIMISTE… FAIT-ROI… »
Cela sonna comme une prophétie — sans doute parce que cela en était une — avec tout ce que cela pouvait soulever de questionnements sans réponses car déjà « l’homme-arbre » entamait un nouveau geste… Odin déploya ses ailes et se percha sur le crâne de leur maître à tous sans que cela ne semble le déranger le moins du monde tandis que se déployait son autre bras gigantesque… Morceaux d’écorce, lianes, lichen et autres petits organismes non-identifiés constituaient ce bras qui devait étendre son ombre sur l’adolescente et, finalement, ouvrir sa main au-dessus de sa tête.
« PUISSE… LA VOIE BLANCHE… T’OFFRIR LES CLÉS… DE TON COEUR… reprit l’être majestueux en frottant tout doucement ses doigts les uns contre les autres. »
« Sa Majesté va te faire boire l’élixir de vitalité, ouvre donc la bouche ! dit un Odin toujours aussi, comment dire, aimable ? »
« PUISSE… LA VOIE BLANCHE… TE GUIDER… TE CONSEILLER… ET FAIRE DE TOI… UNE MEILLEURE SORCIÈRE, sembla conclure l’homme arbre. »
Au-dessus de sa tête, Lorie devait voir naître une goutte de la taille d’une mandarine entre le majeur et l’annulaire du roi-arbre. Une goutte d’un liquide scintillant de mille nuances de vert…
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Le cœur battant avec l’intensité des marais portés par la lune, la blonde était pendue aux longues paroles de l’arbre roi qui trônait dans ce royaume particulier. La sagesse du roi des mages blanc venait s’échouer dans le crâne de l’adolescente qui ne perdait pas une seule miette de l’échange. Elle n’avait pas besoin d'Odin pour ça.
Puis, le long phrasé à l’allure de prophétie atteignit plus que ses oreilles, son échine frissonna tandis que ses poils se hérissèrent. Lys venait de sauter sur ses genoux dénudés par cette robe qui était légèrement remontée. « Ne t’inquiète pas » avait soufflé l’hermine avec un regard et une expression qui se voulait sans doute rassurante. Difficile à dire cela dit, elle restait une hermine. Lorie sentait son cœur battre jusque dans le bout de ses doigts, aucun des mots aux allures prophétique ne lui avait échappé, mais certains résonnaient dans sa matière grise comme des avertissements, ceux de ne pas emprunter la voie : traque acharnée, souffrance, terrible perte, déchéance, meurtri, vengeance… Des mots peu encourageants qui laissaient la blonde pantoise devant le roi. Qui pouvait bien être cet alchimiste à venger ? Aliaume ? Non, c’était ridicule…
Le regard sur la goutte aussi grosse qu’une mandarine, cet élixir de vitalité d’après Odin, Lorie hésitait, tout venait de se bousculer. Lorie crut entendre Lys l’encourager à boire, alors l’adolescente suivie les indications d’Odin, elle ouvrit la bouche qu’elle pensait pourtant déjà ouverte et laissa l’élixir couler. L’élixir qui semblait être ce symbole de la voie blanche, ce liquide scintillant aux mille nuances de vert. On ne lui avait pas menti, la voie serait difficile probablement plus qu’elle ne pouvait l’imaginer avec son esprit d’enfance.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Lorsque Lorie se réveilla, la clairière et l’homme-arbre s’étaient volatilisés. Roulée en boule contre son visage, l’hermine était là, de même que Lorie sentait un matelas confortable sous son corps et la délicatesse des draps glissés jusqu’à ses épaules. Aliaume était également présent, assis sur une chaise à son chevet. Il esquissa un sourire, baignant dans une pénombre persistante où on distinguait néanmoins les murs végétaux et l’eau ruisselant sur le plafond vitré caractéristiques du dispensaire de l’académie.
« Tout va bien ne vous en faites pas, dit le vieil homme à voix basse. L’élixir a cet effet sur tout le monde. Une bonne nuit de sommeil et vous pourrez quitter le dispensaire au petit matin. Tout est arrangé. »
Le vieux renard tourna les yeux vers l’hermine.
« Lys ne vous quittera plus… »
Il désigna quelque chose à côté de lui : le corbeau accroché au mur végétal.
« … l’animal-de-lien et le Mage Blanc ne font qu’un. Après un certain nombre d’années, il vous sera possible d’entendre la voix de votre hermine comme je suis le seul à entendre celle de mon corbeau. En attendant, ne doutez pas d’elle. Elle vous comprend déjà mieux que vous ne vous comprenez vous-même. Elle exécutera n’importe quelle consigne orale que vous lui soumettrez. »
Soudain, son sourire s’agrandit sous son épaisse moustache blanche.
« J’en viens presque à vous envier. À mon stade, je ne sais plus qui suit les consignes de qui… »
Le corbeau bondit sur l’épaule du vieil homme pour lui pincer l’oreille. Ce dernier le chassa d’un mouvement d’épaule un peu trop vif : résultat les vieux os du directeur craquèrent à lui en arracher une grimace.
« Il a son petit caractère. »
Odin s’envola vous-ne-savez-où tandis que la vieille branche qui lui servait de maître se mettait debout — non sans une difficulté certaine…
« Les hanches… toujours ces satanés hanches, ronchonna le vieil homme en s’agrippant de toutes ses forces au bâton qui lui servait de béquille. »
Lorsqu’il s’immobilisa pour mieux baisser les yeux sur l’adolescente, Aliaume superposa à son image celle de son premier apprenti. Il hocha la tête, priant pour que la jeune fille connaisse la même réussite que son prédécesseur.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
La douceur du pelage de l’hermine était agréable, Lorie le sentait sur sa peau claire plongée dans la pénombre du dispensaire. Au travers de ses paupières, la moindre lumière ne lui parvenait pas, mais, pour une raison qu’elle ignorait, elle ouvrit celles-ci avec une légère difficulté. Son esprit embrumé par le sommeil remettait en place les pièces du puzzle qu’elle avait laissé dans la clairière du roi, cette même clairière où par une simple action elle avait juré fidélité à l’ordre de la voie blanche. Malgré la pénombre, la jeune sorcière distinguait les murs végétaux et le plafond de verre sur lequel l’eau ruisselait dans un concert presque mutique. Le dispensaire ? Songea un instant la blonde. Tout cela n’était qu’un rêve ?
Lys lui rappela rapidement que non, comme les paroles du vieux sage lui indiquant que tout allait bien avant même que la panique ne s’installe sur la douceur de son visage. Ses yeux cherchèrent d’où provenait la voix et sa tête n’eut aucun mal à tourner dans la direction du maître mage blanc. Elle écouta avec effort toutes les paroles de son maître sur l’animal de lien. Un semblant de sourire sembla s’afficher sur les commissures de son visage, mais la fatigue avait raison de celui-ci. La seule force qu’elle trouva fut de légèrement lever le bras qui longeait son corps faiblard pour soulever les draps au moins tout aussi doux que sa peau.
« Lys… Tu dois te faire discrète. » Avait péniblement prononcé la sorcière alors que la petite hermine vint se blottir contre elle dans la chaleur des draps. Au moins, personne ne pourrait l’apercevoir, personne qui ne devait être informé.
Lorie écouta péniblement les plaisanteries de son maître, se remémorant avec amusement cet instant près de la fontaine où elle avait pêché sa concentration l’an dernier. Elle suivit des yeux le directeur se relever non sans se plaindre de ses hanches. On est au dispensaire… Songea Lorie, il devait bien y avoir une potion ou deux pour ce problème… Surplombant son lit de toute sa hauteur, Lorie essaya de légèrement se relever en prenant appui sur ses avants bras.
« J’ai… Un millier… De questions… Ses paupières se fermaient toute seules et la blonde luttait pour les maintenir ouvertes. À vous poser… »
Rien ne s’en suivit, si ce n’est qu’elle prit un instant, une simple pause dans sa lutte contre le sommeil. Un petit instant qui s’était transformé malgré elle en un plus grand, puisqu’elle percevait alors au travers de la fine couche de peau, la teinte légèrement jaunâtre créée par un soleil matinal. La pénombre avait laissé place à la lumière, le mur végétal avait retrouvé de sa superbe et la verrière de sa splendeur alors que le soleil traversé la vitre. L’agitation avait retrouvé elle aussi sa place dans le lieu. Reprenant peu à peu conscience de son corps, Lorie n’eut aucune peine à se relever cette fois, elle abordait la journée avec calme et sérénité. Lys émit un petit gazouillis à peine audible.
« Bonjour à toi aussi » avait murmuré Lorie en s’asseyant sur son lit, laissant ses pieds toucher le sol du dispensaire.
Eh bien je pense que l'on peut clôturer ça ici, de mon côté en tout cas. Un grand merci pour ce merveilleux rp et ce voyage initiatique, au plaisir de croiser la plume prochainement.
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