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« ALIAUME ! QUEL PLAISIR ! »

« HORTENSE ! »

Le vieil homme accueillit l’accolade vigoureuse de celle qu’on appelait Madame Croustille en écartant les bras. La gitane — qui détestait qu’on lui serve du Madame car cela lui rappelait inévitablement son âge bien avancé, quoi que beaucoup moins avancé que celui de son invité… — le serra tellement fort qu’elle fit craquer quelques vieux os de son dos.

« Et beh ! Vous croustillez comme une tranche de pain carbonisée ! Venez donc vous asseoir sur cette chaise, que je vous prépare de quoi remettre de l’huile dans cette formidable machine. »

Aliaume accepta l’invitation avec un sourire aimable.

« Votre corbeau n’est pas avec vous ? demanda Hortense en sortant un calepin et un crayon de la poche de son tablier. »

« Il doit chasser autour des roulottes, répondit Aliaume. Il sait, pour prêter l’oreille de temps en temps à ce que je raconte, que vous réalisez de merveilleux plats d’oiseaux en croute. J’imagine qu’il ne tient pas à finir dans l’une de vos assiettes. »

La gitane rit de bon coeur.

« Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? »

Le vieil homme posa sa main sur l’avant-bras de la gitane, une expression malicieuse peinte sur son visage.

« Vous vous souvenez de notre première rencontre ? »

« Et comment ! J’étais haute comme trois pommes et vous étiez tout en cheveux à cette époque là, lui répondit Hortense en lui décochant un clin d’oeil complice. »

Aliaume céda à un rire aussi sec que les muscles de ses bras et de ses jambes.

« Les souvenirs sont parfois très étranges. On leur prête toute sorte de significations farfelues, mais il arrive que certains souvenirs emprisonnent une sensation… une odeur… Quand je repense à la première fois où je vous ai vu, par exemple, je ne peux m’empêcher de sentir le ragout épicé que préparait votre mère alors que vous dansiez dans ses jupons. »

« Le ragoût de mama-Croustille, commenta Hortense, songeuse. Hmmm mon cher Aliaume, un plat d’exception pour quelqu’un d’exceptionnel. Il n’est pas à la carte, mais si c’est ce dont vous avez envie, alors je m’en charge moi-même. »

« Vous m’honoreriez. »

La gitane s’en retourna derrière ses fourneaux avec le sourire, donnant ses consignes à ses trois jeunes assistantes — toutes issues de son clan. Aliaume, lui, braquait ses yeux sur la décoration riche en plantes verdoyantes avant de les ramener sur le deuxième client à faire son entrée dans la roulotte.

« Toujours en retard, vieil homme ! s’exclama Habib Crochemain. »

Aliaume voulut se lever de sa chaise pour serrer la main du gitan, mais celui-ci — beaucoup plus rapide — la lui empoigna tout en le contraignant à rester assis d’une main lourde sur l’épaule.

« J’espère que vous ne m’avez pas invité pour que je règle un problème avec votre balle de… comment vous appelez ça déjà ? Quattequart ? »

« Quattequin, rectifia Aliaume. Non, asseyez-vous mon cher Habib, ce n’est pas la raison de mon invitation à déjeuner. »